Yasida

Editions N. Blandin Paris, 1991 62 pages

Description

Oscillant entre narration et théâtre où se côtoient le lyrique et le burlesque, le tragique et le grivois, Hawad nous livre à nouveau une oeuvre multiforme certainement difficile à classer dans un genre littéraire conventionnel.

Pour la première fois, l’auteur change de cadre et passe du désert minéral au désert industriel. L’action se situe dans les bas-fonds de New-York, mettant en scène les pauvres et les déshérités du monde urbain et de la réussite moderne incarnée par les façades vitrées des tours de Manhattan. Comme un choeur antique, la voix des sans-abris ponctuera le déroulement des faits.

Le personnage central, Yasida, est une prostituée hispano-mauresque décidée à user des armes qui sont à sa portée pour mener une lutte farouche contre l’oppression. Elle invite son lointain cousin, Kokayad, guerrier du désert, à combattre à ses côtés.

Le portrait de ce « poète redoutable de la cour des étoiles » a déjà été peint par Hawad, notamment dans Testament Nomade et dans Froisse-Vent où il apparaît comme un provocateur iconoclaste et violent qui pousse toute situation à son paroxysme pour s’en rendre maître par le chaos. Mais sur ce sol étranger qu’il vient à peine de fouler, Kokayad a perdu ses points de repère habituels et son premier souci est de les restituer. Afin de conquérir l’espace inconnu, il le remodèle et le domestique en y posant ses propres jalons. Les sept lances avec lesquelles il bâtit la scène sont l’équivalent symbolique des piliers ordonnant l’architecture de la tente nomade, de l’édifice social et politique, ou encore de l’univers.

Egalement désorienté par Yasida qui à la fois le captive et l’intimide, Kokayad essaie de la replacer dans un rôle de femme ordinaire en la flattant selon les métaphores convenues de la poésie galante. Mais sa tentative de séduction échoue auprès de cette cousine délurée qui, dans ce cadre extérieur, sait manier mieux que lui la violence, l’obscénité et la vulgarité.

En fait, Yasida refuse que Kokayad entame ainsi son pouvoir. Pour elle, la société traditionnelle qu’il représente a été vaincue et a perdu l’honneur. Aussi n’admet-elle aucune alliance, aucun compromis tant que Kokayad ne se remet pas en cause et qu’il ne fait pas ses preuves. De peur de lui céder et de renoncer à sa propre identité qui est avant tout métisse, Yasida plonge son regard dans un miroir où elle condense sa force et sa détermination. Elle n’acceptera l’union avec Kokayad que lorsqu’il s’abandonne complètement à la lutte, renonçant à la rhétorique pour l’action pure. Au bout des étapes répétitives qui conduisent à la transe et au chaos, la scène pourra pivoter autour de Kokayad, rendu à sa vocation anarchiste que la nouveauté du contexte et de la réalité à affronter avaient déroutée. Il se retrouve à présent dans son élément : l’évaporement des valeurs établies, l’effondrement des certitudes, l’état de transition.`

Le médiateur entre les mondes est l’aveugle Billal. Par la voix de son saxophone, il projette la scène dans la marche cosmique et assure le passage entre les étapes. Il concilie les êtres et les éléments, dépassant les contradictions de ce bas-monde, transgressant les discordes stériles qui opposent les hommes, les peuples, les cultures… Les multiples sources de conflit qui prennent forme dans les relations entre Yasida et Kokayad, ou encore entre Ouma Moussa, la « mère de Moïse », et Abou Elqadous, le « père de Jérusalem », sont emportées par la tempête de l’univers qui fond dans son sillage ces antagonismes entre homme et femme, entre tradition et modernité, entre Indiens, Noirs et Portoricains, ou entre Israël et Palestine…

Omniprésent se retrouve le thème de la résistance que les minoritaires, les pauvres, les exclus, bref le peuple des marges du monde moderne, doivent mener contre l’anéantissement qui les guette.

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